Les vacances. Ah, quel moment de bonheur ce pouvait être. Très honnêtement, le blond n'avait plus connu ce mot depuis... longtemps. Depuis son apparition en tant que général, pour rester objectif. Ce travail lui prenait son temps, ses journées comme ses nuits. Il s'était habitué dès son plus jeune âge à effectuer des nuits blanches, si bien que cinq heures lui suffisaient à présent amplement. De toute façon, étant centenaire, il ne dormait plus beaucoup. À croire que même son cerveau refusait de lui offrir des instants de répis. Bref, malgré tout cela, l'apparition de cette nouvelle île fit considérablement travailler notre général, qui compta bientôt ses levés nocturnes, persuadé d'avoir oublié quelque chose ou assaillit par des cauchemars. Non, si toute cette histoire l'avait bien amusé au début, actuellement il n'en riait plus. Plus du tout. Il avait cruellement besoin de vacances, et cela se faisait ressentir sur son visage. Le matin, il était dans l'obligation de s'enduire de potions et parchemins divers pour se maintenir dans une forme à peu près stable. Et ce n'était que visuel. Il n'arrivait quasiment plus à se servir de son don d'illusionniste, si bien que même son fidèle compagnon hibou le délaissait par moments, presque conscient de son inutilité.

Bref, le général s'est donc autoproclamé en congé. Chose qu'il n'avait pour lors jamais fait. Délaissant totalement son commandant aux pires besognes, notre blond s'est exilé hors de Blaoria. Pour faire quoi ? Oh, il n'en savait rien. Il voulait simplement fuir la capitale pour quelques jours. C'est pourquoi, pliant bagages dans ses quartiers, il emporta le strict minimum, son épée et son hibou. Alistair soupira. Où pouvait-il aller ? Aesus était sans aucun doute le meilleur endroit pour se reposer, mais c'était un peu loin. Oh certes, il pouvait toujours prendre les transports en commun ou louer une voiture pour quelques jours, mais il trouvait ça vraiment trop facile. Il avait l'argent, mais ça faisait si longtemps qu'il ne s'était pas retruvé seul face à la nature. Ça lui manquait peut-être, quelque part.

C'est pourquoi, après plusieurs hésitations, le général opta pour le moyen de transport le plus lent qui soit, et le plus naturel. Le cheval. Depuis quand n'était-il pas monté à cheval ? Il ne sortait pas souvent de la capitale, et c'était la raison pour laquelle il ne possédait pas de voiture personnelle. L'équitation, il l'avait appris pour le fun, parce qu'ajourd'hui, ça n'avait plus grand intérêt. Au mieux cela servait-il lors de parade. Quoique, même ces derniers avaient tendance à être remplacés par des techniques plus modernes, histoire de brosser le poil soyeux des érudits. Le cheval, c'était un excellent moyen.
En franchissant les portes de la capitale, les chevaliers le saluèrent. Il en profita pour taxer une monture au sortir de Blaoria. sans plus de cérémonie, il passa ses vivres sur les flancs de la bête et se mit en selle, le hibou s'envolant pour devancer son maître. Et voilà comment le général s'échappa de plusieurs journées interminables. Finalement, il s'était lancé le défi d'aller jusqu'à Aesus. Mais il n'était pas tout à fait sûr d'y arriver. Après tout, il n'avait plus quarante ans. Il était à prévoir que ses cheveux blanchissent rapidement, mais il avait emporté suffisamment de potions pour lui permettre de garder sa peau de jeune homme. C'était déjà ça. Au pire, s'il parvenait jusqu'à Aesus, il pourrait se recharger là-bas.

Doucement mais sûrement, le général se dirigea vers les plaines. Blaoria en était entouré, et il y avait des nombreux kilomètres à parcourir avant de trouver les premières forêts. Mais ça ne l'effrayait pas plus que de mesure. Il avait toujours rêvé d'aller visiter la ville aux cascades, un peu plus au sud. Mais s'il voulait atteindre Aesus, cela allait considérablement le ralentir. Il s'était offert des vacances, mais elles ne dureraient probablement pas une semaine entière. Il se donnait deux jours avant de recevoir un message furieux de la part de son commandant. Et deux jours encore avant d'être intercepté par une troupe de chevaliers. Ce qui lui donnait environ quatre jours de répit. Quelque part, la section Kwanita était beaucoup plus permissive que l'ordre des chevaliers. James travaillait tellement moins que lui, et il n'était pas pour autant poursuivi pour le travail qui s'amoncellait. Alistair devait penser à engager un second au commandant. Leur travail devenait chaque jour un peu plus considérable. Ç'en devenait ingérable.

Le général secoua la tête, refusant de penser au travail. Il inspira, ferma les yeux et se cncentra sur le vent dans ses cheveux. C'était agréable. Il sourit. Ça faisait longtemps tiens. De longues heures s'écoulèrent ainsi. Le cheval fut mis au pas, puis ce fut au blond de marcher aux côtés de la bête, son hibou sur l'épaule. Une dizaine de minutes plus tard, il reçut un message du commandant. Et il rit. Cela s'était passé plus vite qu'il ne l'avait pensé. Sans doute dirait-il adieu à deux jours de tranquillité. En attendant, il éteignit son téléphone et toute marque qui pourrait indiquer sa présence via GPS. Mais il ne se faisait pas d'illusion, son haut grade était aussi une minuscule prison. Sans doute était-il armé sans qu'il sache de minuscules capteurs sur sa veste. Au moins, lorsque la perte de mémoire lui viendrait, il n'aurait plus à se soucier de sa sécurité.

Finalement, des bruits lui parvinrent d'assez loin. En plissant les yeux vers la source du bruit, il remarqua tout d'abord des cheveux roux. Une personne, visiblement un femme, se tenait dans une position étrange et semblait bien embêtée. Clignant des yeux, surpris, le général amena sa troupe vers la dame. Une fois à quelques mètres, il s'autorisa une brève mise à niveau. C'était un réflexe, mais cela pouvait paraître assez déstabilisant. Il observa donc la demoiselle sous le premier angle qui s'offrait à lui, et dû légèrement se décaler pour connaître le maux de cette dernière. Il vit une boite de conserve. Une bête boite de conserve qui résistait. Il eut envie de sourire, mais visiblement le général n'était pas suffisamment détendu pour s'afficher en public. Il soupira et proposa son aide.

-C'est un drôle d'endroit pour croiser une dame en train d'ouvrir une boîte. Vous permettez ? dit-il en tendant la main gauche, l'autre tenant fermement les rênes de sa monture.

Il ne savait pas s'il pouvait vraiment ouvrir cette boite, mais en tout cas, s'il n'y arrivait pas par la force brute, il n'hésiterai pas une seconde à user de son épée. D'ailleurs, pour s'intéresser un peu à son costume, le centenaire était encore en tenue de travail. Il n'avait pas eu le temps de se changer, et en vérité, il portait constamment ces derniers. Une longue veste blanche au col jaune, un haut et des bas blancs et des bottes brunes. Pourtant, de nombreux signes indiquaient que ce n'était pas un habit basique. Suffisamment pour qu'il soit reconnu par les autres chevaliers. Mais pas assez pour le grand public, à moins d'avoir le nez.

À y penser, Alistair se demandait finalement s'il n'avait mieux pas fallu emporter quelques petites autres choses avec lui. Certes, pour manger, il pouvait tout aussi bien faire une halte dans un auberge. En suivant la route, il en croiserai forcément une. Mais voilà, ces "autres choses" concernaient plutôt son habillement. Non pas qu'il détestait travailler avec une habit blanc. Non, le blanc lui allait à ravir. Cependant, s'il se mettait à pleuvoir par un hasard quelconque, le général tâcherai son uniforme. Et voyez-vous, voir revenir un conseiller la crasse aux pieds, ce n'était pas bon pour son image. Sans doute aurait-il dû emporter un kimono avec lui, juste au cas où. Cela lui aurait permis d'avoir quelques petits vêtements de rechange. Juste comme ça.

Par la suite, notre homme rencontra donc une dame sur son chemin. Une rousse, un peu perdue en-dehors de la route. D'accord, en dehors de Blaoria, il n'y avait pas trente six mille routes. La plupart du temps, c'était du hors piste. Quelques "routes" avaient été aménagées pour ne pas rapidement se retrouver entourée de forêt alors qu'on prenait les transports, mais il n'y avait clairement pas de routes bétonnées en dehors des grandes villes. Qu'importe, toujours est-il que cette demoiselle se trouvait face à lui. Elle peinait pour ouvrir son bocal de... de quoi au juste ? Le blond se le demandait. Alors, il s'approcha pour proposer sa modeste aide. Quelques instants plus tard, la jeune femme releva la tête et lui adressa enfin un regard. Sans parler, elle se redressa et lui tendit la conserve. Il la récupéra lentement, passant son bras dans les rênes de son cheval afin d'avoir les deux mains libres.

La rousse s'exprima alors, décrétant qu'elle acceptait son aide. Bien, il allait maintenant falloir vérifier qu'il était en mesure de répondre aux attentes de son interlocutrice. Dans un premier temps, il n'appuya pas fortement. Alistair connaissait parfaitement sa force, tout comme il savait que son âge avancé n'allait pas améliorer les choses. Peu à peu, il augmenta la pression sur la boite. Sans en arriver à devenir rouge pivoine, le général trouva la conserve pourtant bien résistante. Il tira, tira et tira, jusqu'à finalement détacher l'anse pour ouvrir. Ah, ça c'était malin. Il avait l'air d'un idiot, avec son morceau de métal dans une main et la boite toujours fermée dans l'autre. En plus, il avait manqué de peu d'adresser un violent coup de coude à sa monture. Allons bon, c'était sa veine. Mais foi de conseiller, il n'allait pas se faire avoir par une vulgaire boite en métal. Une idée lui vint immédiatement.

-Mademoiselle, j'espère que vous n'êtes pas allergique aux animaux.

C'était juste pour savoir. Bon, elle était un peu entourée d'animaux dans l'instant et ne donnait pas encore de signe d'allergies quelconque, mais allait-on savoir, peut-être allait-elle développer un gène mutant contre les hiboux ? C'était à voir. Alistair siffla doucement et son hibou, perché sur son épaule et qui jusque là regardait le ciel sans expression, baissa le regard. Le général eut alors l'impression que son animal lui jetait le regard le plus blasé qu'un volatile de ce genre puisse lancer. Vraiment. Wilhem n'était pas un animal idiot, loin de là. Et il avait compris. Le mec de cet animal pouvait être un excellent ouvre boîte. De plus, le hibou n'était pas sale, et très bien traité. Bref, il ne possédait aucune maladie. Peut-être commençait-il à se faire un peu vieux, tout au plus. Alistair approcha donc le bocal du hibou, qui planta rapidement un coup de bec dedans, puis un deuxième et un troisième. Ceci fut suffisant pour ouvrir une faille sans pour autant toucher à son contenu. Le général prit juste un infime soin à ne pas se couper et ouvrit le reste du couvercle avant de le tendre à sa juste propriétaire.

-Voici.

Il ne souriait toujours pas. Il ne souriait de toute façon qu'en de très rares occasions. Rire était encore plus improbable. Et pourtant, il était vieux et en bonne santé. Comme quoi, on pouvait bien se passer de rire et vivre longtemps. Enfin, c'était dans son caractère, un point c'est tout. Il en paraissait juste un peu plat ou  sévère. Mais allez dire ça à votre général, et il se fera un plaisir de vous licencier. Dur ? À peine. Il se fond simplement dans un moule strict pour ne pas être dérangé tous les quarts d'heures pour des affaires mineurs. Son commandant est là pour ça. Il faut savoir déléguer.

Bref, Alistair fut bientôt sorti de sa rêverie par une autre question. Il parlait de son habillement. Ah, il s'en doutait. Restait à savoir s'il parlerai de vive voix et honnêtement ou s'il allait cacher son identité. Oh, dans tous les cas, il ne risquerai rien. Tout au plus parviendrait-il à la rendre plus respectueuse ou plus haineuse en fonction de ses opinions politiques. Mais ça n'intéressait pas notre cher général, qui s'était auto-proclamé en vacances. Voilà donc la réponse qui lui sembla le plus juste.

-Oui, je suis le général des chevaliers. Mais comme je suis en vacances, disons que je suis simplement Alistair. Vous vous nommez ?

Allons bon, il était en droite de lui demander son nom, non ? Bien sûr, il pouvait lui poser des dizaines de questions. Comme par exemple, ce qu'elle faisait là, avec un sac sur le dos. S'apprêtait-elle à rejoindre Blaoria ? Elle en prenait le chemin, mais était-elle peut-être perdue ? Cependant, Alistair était un vieillard bien attaché et enraciné aux traditions. Les demoiselles, il les prenait avec des pincettes, et avec une certaine allure. Mais comme de nombreuses personnes ignoraient son âge véritable, et qu'il paraissait avec ses potions quatre vingt à quatre vingt dix ans plus jeune, il passait pour un gentleman. Malgré tout, le vieil homme ne sortait que peu de la capitale, il pouvait donc, sans s'en rendre compte, une certaine attitude métropolitaine. Enfin qu'importe, il n'allait pas se prendre la tête pour une simple question.