Le propre des espions est d'être capable de s'infiltrer n'importe où sans éveiller de soupçons. Ils peuvent se faire passer pour tout ce qu'on leur demande d'être à la perfection, une preuve qu'ils savent s'adapter à toutes les situations et qu'ils sont de bons acteurs. Leur rôle de récolte d'informations les rend attentifs au moindre détail, leurs yeux et leurs oreilles sont toujours à l'affût et en mouvement.
La plus grande hantise des espions ? La capture. Non seulement c'est une honte, mais en plus le sort réservé à ceux qui se font démasquer n'est en général pas enviable, il varie entre la torture et la mort. Laisser partir ce rat qui possède des renseignements ? Pas sans l'avoir transformé en légume ou lui avoir au moins coupé la langue et les mains. En outre, si se montrer un peu brusque permet de tirer quoi que ce soit, les infiltrés ne s'en priveraient pas. Quand à l'option "retour à l'envoyeur"... Eh bien après avoir neutralisé les moyens de communication de l'agent, pourquoi pas, si ses employeurs sont prêts à en payer le prix. En mission, les agents doubles sont livrés à eux-mêmes : ils ne peuvent compter que sur leurs capacités, en espérant qu'elles sont suffisantes pour leur éviter les mauvais pas - ou au pire de les en tirer.

Elliane s'en était toujours très bien sortie. Même quand ses missions devenaient dangereuses, elle était parvenue à duper ceux qu'elle infiltrait - ou a se débarrasser de ceux qui la gênaient. Alors quand son nouvel ordre était arrivé, même s'il lui semblait plus dangereux que la moyenne l'inquiétude ne l'avait gagné que vaguement. Au moins, ce serait un bon moyen de tester ses capacités. Et puis quoi que Sieg en dise, la demoiselle ne se voyait pas vraiment refuser une mission : non seulement ce serait un aveu de faiblesse mais en plus, si elle travaillait sous les ordres directs de son père adoptif, au final c'était à Akhtai dans son intégralité que les infos qu'elle rapportait servaient, or les décevoir ne lui vaudrait pas grand-chose de positif. C'est donc avec détermination que notre auburn avait mis à exécution la première partie du plan : éliminer discrètement celle dont elle devrait ensuite récupérer la fonction et maquiller cela en accident. Sa victime ? Une simple secrétaire, qui travaillait pour le directeur d'une grande industrie pétrolière à Salinca. Elle n'appréciait pas vraiment cette ville, si différente de la capitale ; on s'y sentait comme prisonnier, avec les hauts remparts qui l'entouraient, seulement on ne lui laissait pas trop le choix. Mais là n'est pas le sujet.

En quoi prendre ce poste de secrétaire pouvait être intéressant ? Tout simplement parce qu'il permettait d'être au cœur de l'entreprise et près du directeur, et donc d'en apprendre beaucoup sur son fonctionnement et ses activités. Surtout sur ses activités en fait. En effet la boîte tournait peut-être principalement autour du travail du pétrole, mais on entendait dire ça et là qu'elle faisait aussi dans un autre commerce en parallèle, sur un marché beaucoup plus sombre : le commerce d'armes. Ce n'était pas rare sur Heka que l'avarice pousse vers ces secteurs, seulement s'attaquer aux entreprises comme celle qu'Elliane devait infiltrer était toujours délicat – on ne la laisserait évidemment pas rentrer, demander si par hasard ils ne revendraient pas des mitraillettes ou autres armes du genre puis repartir bien sagement, ce serait beaucoup trop simple. En fait c'était plutôt le genre d'activité qu'on gardait jalousement secrète, d'où la nécessité de voir par soi-même ce qui se passait. C'est donc le plus naturellement du monde qu'elle s'était présentée pour récupérer le poste d'assistante du PDG avec en tête un profil créer spécialement pour la mission, puis les choses sérieuses commencèrent. Et si l'Akhtai restait méfiante, ne parlant que très peu d'elle et de son pouvoir, les choses se passèrent finalement assez bien, elle trouva même quelques pistes qui prouvaient que les rumeurs n'étaient pas infondées... Enfin, au moins au début. Disons, la première semaine.

Un matin, le patron lui annonça qu'il aurait besoin de ses services plus tard. Cela n'éveilla pas ses soupçons, la jeune femme se rendit donc à l'heure indiquée dans la salle de réunion dans sa tenue de secrétaire : une chemise rentrée dans une jupe lisse et moulante qui descendait jusqu'à ses genoux, ainsi que des escarpins aux pieds. Elle toqua à la porte et attendit qu'on lui dise de rentrer, mais à la place de cela un inconnu baraqué ouvrit la porte avec un sourire qui était tout sauf rassurant, puis saisit vivement son poignet et la tira de force dans la pièce avant qu'elle n'ait le temps de lui échapper. Elliane tenta de se débattre sans y mettre beaucoup de forces, préférant se conserver pour une éventuelle occasion de s'échapper – elle savait bien qu'on l'avait grillée et qu'ils ne la laisseraient pas partir facilement. Une fois à l'intérieur on l'attacha à une chaise et le directeur de l'industrie se mit à lui poser plusieurs questions, dont aucune qui ne trouva de réponse claire et nette. Cela ne dut pas leur plaire, mais ils se contentèrent de montrer leur agacement sur leurs visages et de la ligoter fermement au niveau des poignets avant de la saisir par les bras pour la faire lever et l'emmener vers la sortie.

A ce moment notre Winterheart n'avait pas vraiment espoir de s'en tirer, mais se dit qu'une tentative serait toujours mieux que rien. Alors quand l'un des bonhommes ouvrit la porte pour les laisser passer, leur captive et celui qui la tenait par derrière, elle lui lança sa chaussure à la figure et se réjouit de le voir se prendre le talon, puis sans perdre de temps l'agente enchaîna un coup de pied dans le tibia et un coup de boule à celui qui était dans son dos. Ce combo le fit flancher et lâcher prise, lui permettant de courir vers la porte en espérant pouvoir s'échapper, or c'était sans compter sur l'homme qui la rattrapa et la lança contre l'un des murs. Il l'avait coincée contre ce dernier, quand celui qui s'était pris son talon dans la face le poussa pour lui décoller une droite magistrale qui la sonna assez pour la menacer de lui faire perdre l'équilibre. La rousse se reprit, mais après qu'on l'ait de nouveau attrapée pour la faire sortir de la salle. Les gardes du corps et le président l'emmenèrent dans une pièce assez grande et pleine de cartons vides, mais aussi dotée d'une porte épaisse et de fenêtres petites et situées en hauteur, et la laissèrent seule là – après lui avoir renvoyé ses escarpins. Elle en évita un, l'autre atterrit sur sa hanche donc ne causa pas beaucoup de dégâts, puis alla vers la porte et, en entendant qu'on la verrouillait à double-tour, donna un coup dedans. Quelle erreur, de s'être laissée capturer de la sorte !  

Mais au final, Elliane ne pouvait rien y changer actuellement. Après s'être défoulée sur la porte elle soupira, tourna les talons et fit quelques pas pour remit ses chaussures, puis se dirigea contre le mur qui faisait face à l'entrée de sa prison et s'y adossa, bien calée en positon fœtale dans l'un des angles du fond, la tête collée à la paroi latérale et presque et le menton touchant presque sa poitrine. Ne restait plus qu'à attendre la suite, qui ne serait certainement pas glorieuse...  Une situation qui n'était vraiment pas bonne pour le moral. Elle rendait amer. Notre espionne regarda le sol vaguement en se demandant si elle aurait aimé vivre un peu plus longtemps et finit par s'assoupir.

Quelques temps plus tard – elle ne savait pas combien de minutes, d'heures ou de jours s'étaient écoulés quand ses yeux se rouvrirent –, la noble de naissance fut tirée de son sommeil par des bruits. Elle se rendit vaguement compte qu'ils étaient proches et se souvint de la situation, puis eut l'impression de fournir un effort immense en levant les paupières et en relevant légèrement le visage, juste à temps pour voir la porte s'ouvrir. De toute évidence on lui amenait un camarade... Et qui ne lui était pas inconnu, en plus. Son visage lui avait tout d'abord vaguement dit quelque chose, une impression de déjà vu, puis juste quand les gardes fermaient sa porte devant le nouveau détenu sa mémoire s'activa pour lui dire d'où venait cette familiarité. Le brun qu'on venait de faire rentrer dans la pièce était un mercenaire, ils s'étaient déjà croisés par le passé dans le cadre du travail et avaient fait du bon boulot à deux. On dirait bien qu'aujourd'hui la situation était complètement différente, ce contraste fit monter un rire jaune que la brunette ne tenta pas de contenir.

-Logan, comme on se retrouve ! Puis elle bascula son crâne vers l'arrière pour le poser contre le mur qui soutenait déjà son dos, sans perdre son interlocuteur du regard. Mais que peux-tu bien faire ici ?

Comme si elle ne savait pas qu'il avait probablement échoué dans sa mission, lui aussi... M'enfin, Elliane avait envie de l'entendre le dire alors ne s'en priva pas. Quitte à ne pas être seule autant s'amuser à taquiner un peu son compagnon d'infortune, on trompe le temps et son humeur maussade comme on peut après tout.