Vous savez ce qu'est un jour de repos ? C'est jour est béni : on ne travaille pas. Et ça, c'est une bonne chose. Pas de longues heures passées au bureau ou en mission, pas d'urgences, rien. Juste du temps pour soi.
Ce temps, Sywen comptait le prendre aujourd'hui : pour commencer, elle ne s'était levée qu'à neuf heures passé. Ensuite, elle avait pris tout son temps pour se préparer - prendre sa douche, se peigner... -  tout en jetant régulièrement des regards dehors. Le ciel était dégagé et la température agréable, bref, un temps parfait pour une petite sortie... Mais qu'allait-elle bien pouvoir faire ? Si la jeune femme raffolait des sensations fortes et des paysages extrêmes, ce n'était pas pour autant qu'elle avait envie d'en faire son programme. Pour une fois elle ne jouerait pas les téméraires, aujourd'hui serait dédié au calme. Bon, maintenant que la liste de ce qui ne ferait pas partie du programme était dressée, il lui fallait dresser celle de ce qui au contraire l'était... Voilà qui allait s'avérer long et ardu.

Assise en tailleur sur son lit et vêtue d'un short et d'un débardeur, notre kwanita aux cheveux roses croisa les bras et réfléchit. Elle pouvait toujours faire un grand ménage de printemps... Non, le nettoyage avait déjà et fait récemment. Se balader tranquillement en ville ? Pour une fois qu'elle avait envie de calme, se promener dans les rues alors qu'elles sont probablement très fréquentées par un temps pareil ne lui disait trop rien. Passer la journée à la maison, affalée sur son canapé et un bouquin en main ? Pourquoi pas, sauf que ce serait dommage avec une météo si clémente dehors et l'envie d'en profiter. Penchant la tête sur le côté, Sywen explorait d'autres possibilités... Quand un nouveau facteur vint modifier la donne : son ventre cria famine. Ah là là, il ne choisissait jamais le bon moment pour se manifester... Hé mais, peut-être que si en fait ! Un large sourire apparut sur son faciès fin tandis qu'une idée naissait dans sa caboche rosement décorée, puis elle sauta de son lit pour attraper de quoi faire du feu, une grille et quelques livres diverses et variés.

La voilà donc partie pour la journée, mais avant, la demoiselle acheta quelques morceaux de viandes chez le boucher. Ensuite, elle marcha lentement vers l'extérieur de la ville pour se laisser le temps de la réflexion : elle ne pouvait pas faire ce qui était prévu n'importe où... Finalement, elle décida que la plaine qui s'étendait non loin de la capitale ferait l'affaire, surtout qu'un cours d'eau la traversait. L'ultime détail du lieu étant réglé, la Lohendra se dirigea vers sa destination d'un pas vif, en sifflotant presque mais en tout cas sans laisser ses lèvres se détendre. Décidément, sa journée promettait de se dérouler sans encombres. Quand elle arriva enfin à la vaste étendue d'herbe, son premier objectif fut de trouver un carré de terre assez près du ruisseau pour y allumer son feu et poser la grille par-dessus. Le barbecue était lancé, ne manquait plus qu'à mettre la viande ! Chose qu'elle fit sans tarder, ensuite Sywen l'observa cuire un moment avant de se rendre compte.... Qu'elle n'avait rien pour l'assaisonner. En se tapant le front de sa paume, elle décida de tenter de trouver son bonheur dans les bois à proximité... Mais était-ce bien sage de laisser le feu sans surveillance ? Elle s'était déjà à moitié levée quand cette excellente question lui traversa l'esprit, la faisant marquer un temps de pause pendant lequel son regard hésitant fixa les petites flammes.  

Finalement, la jeune femme s'éloigna en pensant que, de toutes façons, elle ne partait pas bien loin ni longtemps et qu'il y avait rarement affluence de monde dans le coin. Une erreur qui lui fut fatal, comme elle put s'en rendre compte à son retour. Son absence n'avait pourtant effectivement pas duré plus d'une dizaine de minutes puisqu'elle avait rapidement trouvé quelques herbes, mais un inconnu avait eu le temps de jeter de la terre sur son barbecue pour l'éteindre et était même en train de pousser l'audace jusqu'à se servir sur le grill. En voilà un qui ne manquait vraiment pas de toupet ! Pour le coup, il avait réussi à l'agacer en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire – ce qui n'était pas si rare que cela chez elle, mais là, c'était quand même un cas exceptionnel. Une lueur de mécontentement dans les yeux, Sy accéléra et n'attendit pas bien longtemps avant de s'exprimer d'une voix sévère :

-Hé ! Je peux savoir ce que vous faites, à éteindre mon feu et à manger ma viande ?  

Vivement, elle arracha le bout de venaison des mains du jeune homme et le toisa sans aménité. Ce blondinet avait intérêt à ne pas déclarer être un fervent défenseur de la nature, auquel cas elle lui ferait avaler tous les morceaux de viande qui trônaient encore sur la grille mais étaient désormais recouverts de terre, puis lui permettrait d'étancher sa soif en le balançant à l'eau.

-Alors, qu'as-tu à dire pour ta défense ?

Bon, on passait tout à coup du « vous » au « tu ». Mais que voulez-vous, d'une Sywen n'était à la base pas du genre à vouvoyer et de deux elle ne ferait certainement pas cet honneur à ce petit voleur - qui, pour tout vous dire, devait s'estimer heureux de ne pas avoir essuyé une claque pour seule et unique réaction.

Sywen était originaire d'Aesus, une cité qui vivait en harmonie avec son environnement montagneux, elle respectait donc la nature et l'appréciait beaucoup. Parfois – assez souvent même -, ses sorties consistaient en une randonnée dans des lieux que l'Homme n'avait pas encore retaillés à sa convenance. Se balader dans la forêt ou escalader des montagnes, partir en plongée sous-marine ... Tant d'activités qui permettaient d'observer le monde de plus près, de l'apprendre et de s'en sentir toujours plus proche. On se sentait revenir aux sources, on s'affrontait soi-même, on se rendait compte qu'on était petits à l'échelle du monde et qu'on faisait partie d'un tout. Cela ne rivalisait pas avec les sensations fortes, mais ça n'en était vraiment pas loin et, d'ailleurs, y ressemblait. Sans oublier qu'elle aimait beaucoup la faune, si la jeune femme se laissait faire sa maison se transformerait en zoo. Tout cela pour dire qu'elle ne voulait pas de mal à la nature au contraire, d'où son choix d'emplacement pour son barbecue et le fait que la Lohendra avait fait au plus vite pour récolter des herbes – son absence n'avait duré que cinq minutes.

Quand elle était revenue son feu n'avait heureusement pas pris des proportions dignes d'un incendie et des pattes n'avaient pas subitement poussées au combustible afin qu'il puisse aller faire un petit tour dans les bois... En fait, il s'était même éteint. Ou plutôt, un jeune homme l'avait étouffé avec de la terre. On peut dire que Sywen n'avait pas trop apprécié cela, elle n'avait d'ailleurs pas hésité à foncer sur le blond avec une expression furieuse pour lui prendre le morceau de viande qu'il venait de piocher sur le barbecue des mains tout en lui demandant des explications. Prendre la défense de quelques grillades et de son feu aussi ardemment pouvait paraître idiot, mais c'était quand même son repas ! Et puis elle n'aimait pas qu'on contrarie ses plans pour une petite journée tranquille, surtout pendant ses jours de repos. Alors au diable le « bonjour » qu'il avait tenté de sortir avant que la kwanita à la chevelure rose ne reprenne son morceau de viande – le seul qui avait dû être épargné par la terre –, elle ne le laisserait pas s'en tirer si simplement. C'est avec cette résolution qu'elle lui avait demandé des explications, ce à quoi l'inconnu avait répondu en laissant de côté l'intriguant petit sourire qui était apparu sur son visage pour une expression plus sérieuse. Enfin quand je dis « répondu » je me comprend, en fait il n'a donné ses raisons qu'à demi-mots en comptant peut-être sur l'esprit logique de sa vis à vis pour continuer le raisonnement, et c'est ce qui se produit.

-Il faudrait être idiot pour laisser un feu seul plus de dix minutes... Dit-elle en secouant un peu le visage dans un mouvement horizontal, avant de pointer ses affaires du doigt en regardant le jeune homme dans les yeux. Vous pensez vraiment que qui que ce soit laisserait ses affaires près d'un barbecue sans avoir l'intention de revenir rapidement ? Surtout s'il y a des livres.

La logique Sywen frappait encore un grand coup... Car oui, pour elle, il n'y avait aucune faille dans son raisonnement. C'est que sur l'instant elle était bien décidée à avoir raison donc ne regardait pas si ce qu'elle venait de dire tenait debout ou pas : c'était vrai, point. Si la demoiselle n'était pas un peu trop bornée ? C'est ce qui la rendait si amusante voyons... Mais aussi qui la rendait irritable. Alors quand ce blondin avait critiqué la viande qu'il venait de manger tout en faisant mine de s'écarter, elle avait légèrement froncé les sourcils. Ce qui l'avait retenue de répliquer immédiatement fut qu'il s'excusa juste après : elle avait beau être une tête de mule brûlée, quand quelqu'un lui demandait pardon la chef du service des renseignements savait se refréner.

-J'accepte vos excuses, à condition que vous me remboursiez mon repas. La viande a un prix, le même que celui que j'ai payé pour remplir mon estomac.

Elle avait sorti cela sur un ton implacable et comptait bien ne pas reculer là-dessus : ce n'était pas seulement de l'argent qu'il venait de lui faire perdre, mais un repas. Or Sywen n'en avait pas forcément l'air, mais la nourriture qu'elle achetait finirait dans son ventre quoi qu'il arrive en vertu de son penchant ponctuel pour la gourmandise.
Peu après l'ennemi naturel des barbecues chercha dans son sac pour lui montrer un assortiment de baies et de champignons, en déclarant être prêt à partager son repas. Voilà qui montrait bien qu'il voulait compenser et ce qu'il lui présentait avait l'air délicieux, mais d'un autre côté... La viande, c'est plus consistant que cela. Et elle avait faim. Mais en même temps, le jeune homme avait l'air sympathique au fond, ça ne donnait pas envie de chercher des poux... Elle se passa la main sur le crâne tout en réfléchissant, puis soupira doucement et afficha un petit sourire.

-Ce serait avec joie, mais n'oubliez pas : vous me devez un peu plus que cela quand même. Par exemple, vous pouvez m'aider à nettoyer. C'est une véritable tornade de terre que vous avez fait s'abattre sur mon barbecue...

il fallait voir la manière dont était étirée la commissure droite de ses lèvres pour comprendre que c'était dit sans véritable reproche, dans une tentative de lancer un petit pique d'humour. Cela dit notre Edenhyde alla s'accroupir près de sa grille et enleva les morceaux de viande, les mettant dans le sac poubelle qu'elle avait prévu au fur et à mesure. Ensuite elle emmena la grille près du cours d'eau pour la rincer, laissant au blond le soin de s'occuper du feu. Quand la demoiselle revint, elle posa le support au-dessus des braises et s'assit en face de son interlocuteur.

-Au fait, je m'appelle Sywen. Et toi ?

Pour le coup le tutoiement était venu en un signe de paix, non en une preuve qu'elle ne voulait pas s'adresser à lui en employant le « vous » plus respectueux. Après tout un repas partagé doit se dérouler dans la convivialité, non dans des reproches – qu'ils soient formulés ou pas. Et c'était aussi une invitation sous forme d'exemple, pour qu'il arrête de la vouvoyer (c'est qu'elle allait se sentir vieille à force haha).

Tout était recouvert de terre... C'en était désespérant. Par chance le sac contenant ses effets personnels et ses livres était fermé quand le garçon s'était amusé à donner des coups de pieds dans le sol comme pour shooter dans un ballon invisible, sinon il s'en serait pris plein la pomme – à commencer par un récurage complet de toutes ses affaires, pendant qu'elle l'aurait regardé faire d'un œil critique qui aurait guetté le moindre faux pas, la moindre occasion d'enguirlander ce pauvre blondin. C'est que Sywen pouvait être terrible quand elle s'y mettait, pourtant ce n'était pas faute d'être méchante : elle avait juste cette grande manie de partir au quart de tour. Mais face à quelqu'un qui ne s'était pas offusqué de sa manière peu pacifique de l'aborder, s'était excusé et n'avait visiblement aucune mauvaise intention – il cherchait juste à empêcher le pire d'arriver sans aucun doute –, sa tension était vite redescendue et la jeune femme s'était mise à réagir plus calmement, plus poliment aussi puisqu'elle repassa au « vous » - même si ça ne dura pas bien longtemps, son naturel étant amical. En revanche elle s'était mise à taquiner gentiment son vis à vis, pour alléger l'atmosphère que sa réaction démesurée avait directement rendue lourde d'agacement lorsqu'elle était revenue de sa rapide cueillette de champignons.

Le hic là-dedans – à croire que c'est vrai quand on dit qu'il y en aura toujours un quelque soit la situation –, c'est que ce jeune homme sans aucun doute sympathique s'était renfermé dès qu'il l'avait entendu expliquer via sa propre logique que, non, elle n'avait pas prévu un grand et magnifique feu de forêt pour avoir un spectacle à admirer tout en dégustant sa viande – d'ailleurs elle n'était même pas pyromane : il croisa les bras et prit l'air boudeur de celui qui ne veut pas admettre ses torts, une mimique qu'elle connaissait bien pour avoir eue la même plus d'une fois. Cette réaction de la part d'une personne semblant si calme, réfléchi et de bonne foi – assez pour l'aider à déterrer le barbecue sans dire un mot - avait un peu étonnée Sywen qui, même avec sa petite blague de la tornade – qui n'était pas drôle certes mais c'était mieux que rien –, ne tira de lui qu'un air.... Étrangement peu convaincu. Alors quoi, quand elle l'agressait presque il se portait bien par contre quand elle était sympathique – ou essayait –, il n'était pas content ? Cette histoire la laissa si perplexe que la Lohendra en plissa le front. Mais bon, certainement qu'au final tout se résumait à « chacun a sa petite fierté et boudent quand ils se sont plantés en pensant bien faire ». Cela elle le comprenait très bien étant elle-même d'une nature fière et têtue, du coup elle savait aussi que ces accès d'amour-propre blessé finissaient par passer. Elle se contenta donc de hausser les épaules, avant de se présenter pour mieux lui demander son prénom à la suite.

Le fameux Lohan la fixa avec un air étonné, avant de répondre. Quoi, se montrer sociable était interdit ? Le regard chargé d'un énervement bien puéril que notre kwanita rosée lui décrocha voulait bien dire que, s'il la voyait comme un gros monstre prêt à cracher des flammes sur le premier insolent venu parce que son repas était fichu, elle n'était pas d'accord.  Non mais. M'enfin, au moins sa question sembla délier un peu la langue de son interlocuteur. Enfin « interlocuteur », en fait il était tellement distant qu'on aurait presque dit que chacun parlait à un être imaginaire de son côté, pas qu'ils communiquaient. Pourquoi le sentait-elle aussi méfiant, il avait vraiment peur de se faire dévorer tout cru ? Apparemment, rien n'était gagné... Et dire qu'au début, c'est lui qui était le plus terre-à-terre et elle qui ne relativisait rien du tout. On peut dire que la situation avait changé tiens. D'ailleurs, Sywen put sentir un petit relent d'orgueil quand il lui dit se douter qu'un barbecue laissé seul était dangereux. Oh ben s'il le savait tant mieux, au moins il ne risquait pas de provoquer un incendie par inadvertance – et d'un autre côté, ça voulait dire que si jamais le blond provoquait un brasier géant de cette manière, ça ne pourrait être que volontairement. Mais cette réflexion ne servait absolument à rien actuellement.
L'Edenhyde lui lança un regard pensif à l'homme tout en soupesant chaque mot qu'elle allait prononcer par la suite. Certainement que le jeune homme ne voulait pas revenir sur le sujet, mais même la fierté a besoin de réconfort quand elle est blessée, cependant la prudence était de mise.

-Tu n'as pas mal agi : tu as plutôt agi trop vite. Elle le gratifia alors d'un sourire amusé, toujours pour le rassurer. Et grâce à cette réactivité, le jour où un feu se déclare vraiment, la situation sera vite prise en main.

Après quoi elle le regarda pousser son sac dans sa direction, se servit une petite poignée de baie et refit partir la besace dans la direction opposée avec un « merci ».
Par la suite, c'est un Lohan moins à vif qui lui demanda en hésitant entre le vouvoiement et le tutoiement ce que Sywen était venue faire dans le coin. C'était assez mignon de le voir aller d'un cheval à l'autre comme cela, aussi sourit-elle avant de répondre tout en entreprenant de piocher une baie parmi celles tenues par sa main en coupole.

-Tu peux me tutoyer. Je suis juste venue profiter de mon jour de repos et du beau temps devant un barbecue et un livre. Et toi ?

Cela dit, elle goba le petit fruit et fut agréablement surprise par son goût riche, prononcé et sucré. En voilà une belle découverte, et rapidement sa gourmandise la poussa à jouer les curieuses.

-Mhh, pas mal ! D'où viennent ces baies ?

On pouvait qualifier Sywen de spontanée ou de lunatique : elle était capable de s'énerver comme un taureau taquiné par plusieurs piques et entouré d'étoffes rouges, sembler incapable de sortir de sa crise, pour finalement baver devant un gâteau l'instant d'après en s'extasiant sur sa saveur ou encore observer attentivement une vitrine de magasin voir un combat de chiens. Avec un caractère pareil on ne pouvait que redouter le jour où elle tomberait enceinte, puisque c'était bien connu qu'attendre un enfant rendait les femmes très capricieuses. On peut d'ores et déjà avoir une pensée pour le père, qui aurait probablement à subir ses humeurs pendant neuf mois – sans aucun répit puisqu'elle ne lui en laisserait pas. Quand on y pense la jeune femme serait difficilement supportable, déjà qu'il lui arrivait de l'être au naturel hein.
D'ailleurs, ce qui la rendait aussi dure à suivre était sans doute sa sale manie de s'agacer aisément. Un objet qui tombe ou qu'elle n'arrive pas à trouver un matin où elle est en retard et sur les nerfs à force de courir partout ? Elle râle en demandant qui lui avait demandé de tomber ou où est-ce que ce fichu truc avait bien pu se cacher. Si elle se cogne le pied contre un coin d'armoire ou de bureau ? Elle tempête presque à s'en arracher des cheveux en maudissant celui qui avait placé ce meuble là. Je vous en passe des bien meilleures par peur que la liste devienne trop longue, mais vous aurez sans doute compris à quel point la cheffe de service pouvait être irascible pour un rien – vivre avec elle ne serait pas une partie de plaisir, même si cela permettrait de faire un grand travail sur soi niveau patience et zen attitude.

Mais cette lunatique spontanéité (oui ça existe et c'est français -vlan-) était justement ce qui pouvait perdre ses interlocuteurs, surtout ceux qui ne la connaissaient pas. Tenez, prenons l'exemple de Lohan : quand Sywen l'avait vu en train d'éteindre son barbecue à grands coups de pieds dans la terre, elle s'était tout de suite énervée et lui avait foncé dessus, prête à lui faire déguster une belle salade de phalanges (ceci est une manière poétique de dire qu'elle lui aurait collé son poing dans la figure). Nan mais c'est vrai quoi, de quel droit il salissait ses affaires, la faisait perdre de l'argent et la privait d'un repas en rendant sa viande immangeable ! Et puis, c'était un barbecue quoi, c'était sacré chez elle ! Bref, on aurait pu la comparer à un ouragan. Cependant en le voyant s'excuser avec avec calme, politesse et un sourire, elle s'était légèrement calmée, ce qui lui avait permis de lui répondre non pas par la violence mais avec un ton assez cassant tout de même.
Tout allait bien alors ? Non ! Parce que comme on dit, quand c'est pas l'un, c'est l'autre... Et de toute évidence, après la bouderie, Lohan était sujet à l'ébahissement. Quoi, un gros pustule lui était brusquement apparu sur le visage ? Haussant un sourcil en voyant l'air choqué du jeune homme (oui elle avait du mal à se rendre compte que son changement de comportement était assez violent en lui-même), la jeune femme se contenta de le fixer jusqu'à ce que son état de choc soit passé et qu'il se décide enfin à reprendre la parole.

Ce qu'il fit assez rapidement au bout du compte, tant mieux d'ailleurs parce que sinon elle se serait vue dans l'obligation (oui car ça en aurait été une de son point de vue) de le secouer comme un prunier pour lui remettre la cervelle dans le bon sens. Parler toute seule et se prendre des vents de la part de son interlocuteur n'est vraiment pas agréable, voyez, ça ressemblait un peu trop aux conversations qu'on pouvait se tenir à soi (enfin à nous-même et à nos alter ego) quand on était seul et que... Bah, justement, on se sentait seul. Donc, par déduction, elle se serait sentie seule s'il était resté muet, ce qui aurait été drôlement ballot puisqu'ils étaient deux sans avoir à compter leurs autres eux. D'où le fait qu'elle l'aurait un peu violenté... Ou alors, elle se serait mise à parler toute seule comme une idiote juste pour voir s'il réagissait.
Enfin bref, là n'était pas la question puisque le blond avait démontré qu'il ne s'était pas transformé en légume incapable de sortir de sa rêverie en se mettant à parler de ses baies. Pour le coup il se montra tellement investi dans son monologue que Sywen ne put que l'écouter en souriant : entendre des gens parler d'une de leurs passions était toujours passionnant (haha jeu de mot pourri), assez en tout cas pour ne pas s'ennuyer avant un bon moment passé à ne parler que de ce seul sujet. Et comme son vis à vis ne s'attarda pas trop dessus, ne parlant que des propriétés de la baie qu'elle venait de manger, elle n'eut pas le temps de s'ennuyer.

Cela dit, Lohan reprit son souffle rendu court par sa tirade avant de dire qu'il la tutoierait désormais – ce qui lui tira un hochement positif de tête accompagné d'un sourire – puis de lui demander de ne plus lui faire de telles frayeurs avec ses feux.

-Dis-moi, est-ce qu'on a déjà pensé à t'offrir un extincteur portatif ? Dit-elle, non sans une pointe d'amusement dans la voix. T'en fais pas, va je serai plus prudente à l'avenir... Je n'ai pas spécialement envie qu'on shoote à nouveau de la terre sur ma viande.

C'était seulement une énonciation des faits, Sywen avait dit cela sans accusation sous-entendue. D'ailleurs pour rassurer Lohan sur ce point, elle lui fit un rapide clin d’œil avant de fixer le sac dans lequel il lui proposait désormais de piocher à nouveau. Elle plongea la main dedans sans se faire prier pour en ressortir une pleine poignée de baies toutes différentes, avant d'en goûter une plus acidulée que la précédente mais elle aussi délicieuse tandis qu'il faisait signe à un renard d'approcher. En le voyant la demoiselle entrouvrit légèrement les lèvres et changea de position, soudainement enthousiaste.

-Oh, quel beau renard ! Il a un nom ? C'est ton totem, je suppose ? Il te confère quel pouvoir ?

… Hé, hé, du calme jeune fille. Tu allais le noyer sous les questions, là, laisses-le en placer une quand même si tu voulais des réponses. En plus, tu ressemblais à une gamine comme ça, penses un peu à ton image. Encore une fois, on avait la preuve qu'elle pouvait changer d'attitude en moins de temps qu'il n'en faut pour retirer une chemise.

Un totem était quelque chose de très important pour tout un chacun, que ce soit eux qui ne l'avaient pas encore troué et désespéraient à cette idée que ceux qui l'avaient découvert. Il n'était pas rare de développer une affection toute particulière envers lui, au point de ne plus vouloir s'en séparer. Mais ces cas extrême relevaient plus de la section Kwanita que de la section Wakanda, alors Sywen ne savait pas grand-chose sur eux. Elle-même était attachée à son lapin blanc, mais pas assez pour l'emmener alors qu'elle allait faire un barbecue. Le pauvre n'aurait certainement pas apprécié la proximité des flammes, il était craintif. Lohan, quant à lui, semblait très proche de son renard. Ou en tout cas, c'est ce que suggérait la manière dont il le prit dans ses bras. Lui qui semblait plutôt renfermé et peu expressif avait tout de suite affiché un sourire quand le quadrupède à poil roux était sorti des fourrés. Certains prenaient ceux qui se prenaient d'affection pour les animaux, totem ou pas, pour des personnes étranges. C'était encore pire quand on leur parlait, puisqu'une manie pareille nous faisait passer pour un illuminé en manque de relations. Mais elle ne pouvait pas juger, puisqu'elle-même le faisait régulièrement – que ce soit avec ses propres compagnons ou les animaux qu'elle croisait. Allez donc savoir pourquoi, après tout ils n'allaient pas lui répondre.

Quoi qu'il en soit, ils arrivaient maintenant à converser tranquillement. Cette atmosphère était bien plus agréable que celle du début. Et si sa viande était fichue, Sywen dégustait désormais des baies absolument délicieuses qu'elle espérait bien retrouver au marché ou dans un magasin – au pire, elle taxerait Lohan en échange d'un petit quelque chose. Tout cela plus le fait que la météo était vraiment agréable, elle était bien tentée de dire que, tout compte fait, sa journée se passait bien. Ah, les petites journées paisibles, sans travail et pendant lesquelles on faisait de bonnes rencontres, étaient décidément trop rares.
Cela dit, elle remarqua que Lohan omit volontairement de répondre à l'une de ses questions. Celle concernant son pouvoir. La Lohendra ne dit cependant rien là-dessus, étant consciente que tout le monde n'était pas prêt à révéler son don à une personne tout juste rencontrée. C'était une question d'instinct de survie que de ne pas trop en révéler sur nous, en particulier sur ce qui concernait nos capacités. Sans oublier qu'un peu de suspens ne faisait pas de mal, cela nous permettait de laisser libre recours à notre imagination ! Tenez, avec le caractère qu'il avait, elle aurait bien vu le blondinet avec un pouvoir comme la mémoire absolue ou un truc dans le même genre, bien pratique pour un scolaire.
Ce que notre kwanita aux cheveux roses pensait du fait qu'il ne lui ait pas donné de nom ? Bah, c'était son choix et elle pouvait le comprendre. Même si on n'en avait pas forcément conscience, un nom était une chaîne, surtout pour celui qui nous l'avait donné. Si le jeune homme ne considérait pas réellement que le renard lui appartenait, ne pas le nommer en était une preuve. Du coup, elle se contenta de lâcher un « je vois ! » pour toute réponse.

Après qu'il ait pris la parole, le prédateur sans nom s'approcha de Sywen. Elle le regarda tout d'abord faire avec des yeux curieux, avant de sourire doucement en tendant la main vers lui – pour qu'il puisse sentir son odeur et comprendre qu'elle n'était pas une ennemie. C'était souvent la meilleure manière de se faire accepter par les animaux inconnus. Mais elle n'eut malheureusement pas le temps de le caresser, puisqu'il retourna quasi-immédiatement auprès de Lohan.
La jeune femme prit un air boudeur l'espace d'une seconde, avant de balayer le fait qu'elle venait de se faire snober par un soupir. D'un geste souple elle se releva, glissa les quelques baies qu'elle avait encore en main dans sa poche et s'étira un peu.

-Bon ! C'est pas tout, mais je commence à avoir des fourmis dans les jambes. Elle posa ensuite ses deux mains sur ses hanches en regardant Lohan. Ça te dit d'aller voir un coin sympa ?

Le coin sympa en question n'était pas trop loin – il fallait marcher un peu plus de vingt minutes à partir de la lisière de la forêt. Ils 'agissait d'une modeste clairière très bien éclairée à cette heure-ci, au milieu de laquelle coulait un petit ruisseau agrémenté de quelques galets que l'onde avait charrié jusque là. Le ru, qui était un affluent de la rivière dont ils étaient proches plus tôt, faisait une sorte de mini-cascade (d'une hauteur d'environ quarante-cinq centimètres). De plus, un bel et grand arbre trônait au centre du petit espace et le sol était principalement recouverts de différents types de fleurs. En bref l'endroit respirait la tranquillité et sentait bon la nature.
Quand ils arrivèrent, la jeune Edenhyde s'adressa une nouvelle fois à Lohan.

-Pas mal, hein ? J'ai découvert cet endroit en me baladant dans la forêt. J'aime y passer de temps en temps.

Son regard bleu se promena alors sur ce joli petit coin. Prenant une bouffée d'air pur, Sywen pensa à sa cité natale. Dans Aesus et ses environs les paysages comme celui-ci étaient plus rares, il fallait descendre au pied de la montagne pour en trouver. Mais le simple fait d'être près de la nature la calmait, puisque cela lui rappelait l'atmosphère dans laquelle elle avait vécu pendant vingt-cinq ans. Est-ce que Lohan allait apprécier l'endroit autant qu'elle ? La demoiselle n'en doutait pas. Ce serait bien.
Mais alors qu'elle profitait de cette ambiance apaisante et de la ravissante vue, des bruits attirèrent son attention. Des rires bruyants d'hommes bourrus. Quand elle dirigea les yeux dans leur direction pour savoir qui était là sa langue alla claquer contre son palet, ce qui disait que c'était une mauvaise surprise.

-Où est-ce qu'ils se croient, eux ? Grogna-t-elle tout bas.

Il y avait deux hommes. Deux braconniers, pour être exact. Oh ne vous méprenez pas, l'Edenhyde n'était pas vraiment contre la chasse et le braconnage. Mais seulement quand ils avaient pour seul but de nourrir une famille ou encore des clients. Or ces deux-là avaient déjà amassé pas mal de carcasses et ne lui semblaient pas être des bouchers.
L'un des deux hommes sembla repérer une proie, car il arma son fusil et se met en position de tir. En voyant cela, Sywen partit au quart de tour dans leur direction sans prendre le temps de voir si Lohan la suivait ou pas mais en les interpellant avec un "hé !".

L'endroit était agréable, l'instant était placé sous le signe de la détente, il faisait beau, il faisait bon et ils avaient de délicieuses baies à manger. Franchement, que demandait le peuple ? Si Sywen s'était estimée malchanceuse en voyant Lohan tenter de noyer son barbecue sous de la terre, elle avait au final changé d'avis. Ça aurait été ballot de gâcher une journée de repos et un temps magnifique en s'énervant contre quelqu'un qui, certes avait ruiné notre repas, mais était parti d'une bonne intention et avait fait de son mieux pour se racheter. En plus, il était sympathique tout compte fait.
En l'emmenant dans cette clairière qu'elle adorait, la jeune femme avait eu l'instinctive certitude que Lohan saurait l'apprécier à sa juste valeur – après tout, c'était lui qui avait éteint son barbecue par peur qu'un feu se déclare et ravage la forêt. Elle ne fut pas déçue : rien qu'en le regardant, on devinait que cet endroit lu plaisait, qu'il l'appréciait à sa juste valeur. Cela la rendait heureuse de l'avoir guidé jusqu'ici et de lui avoir fait découvrir ce petit havre de paix, de partager ce moment relax avec lui. Vous savez, c'était comme partager un gâteau avec quelqu'un qui partage notre goût pour les pâtisseries, on avait l'impression d'être en accord parfait avec cette personne. Eh bien, là, elle avait le sentiment qu'ils pouvaient se comprendre et bien s'entendre. C'était l'effet « passion et/ou goût commun/e ».
Bref, à ce moment, tout allait bien dans un monde au calme parfait.

Mais de toute évidence son karma avait décidé qu'aujourd'hui, un événement inattendu et indésiré se produisait à chaque fois que Sywen penserait ainsi. Pourquoi ? Eh bien parce qu'ils ne goûtaient à l'atmosphère paisible et au charme pittoresque de la clairière que depuis quelques minutes, quand des braconniers passèrent dans le coin.
Qu'on se le dise tout de suite : elle n'était pas une fervente défenseure de la cause animale convertie en végétarienne pour manifester son mécontentement face à leur maltraitance et aux massacres abusifs. Quoi que encore, les massacres abusifs, elle était contre à cent pour cent. Mais autant la demoiselle comprenait que tuer d'innocents animaux était nécessaire à notre survie – c'était la chaîne alimentaire –, autant elle préférait encore ne pas en abattre plus que nécessaire. Sinon, la quête de nourriture ou de bénéfices par la revente de produits alimentaires prenait des airs de massacre, voir d’extermination pure et simple d'une espèce. Combien de bêtes avaient rencontré leur bourreau, pour finalement terminer en carcasse pourrissante ? Tant de gâchis. C'était triste. En plus, c'était aussi une perte financière et une atteinte à écosystème ainsi qu'à la bio-diversité. Parce que la sur-chasse ou la sur-pêche faisait que des races entières étaient décimées, or celles-ci étaient les prédateurs de bestioles qui du coup avaient tout le loisir de proliférer, bla bla bla.... Bref, j'arrête de vous embêter avec ça.

Il se trouvait justement que les deux zigotos pratiquaient une chasse légèrement trop intensive à son goût. Pour commencer, à quoi cela servait-il de tuer chaque bête qu'on croisait si on pratiquait la chasse comme un loisir ? Mieux valait les capturer et les relâcher rapidement ou les endormir pour la plupart, et n'en abattre que deux ou trois pour le repas.
Et pour couronner le tout, ils riaient de leur chance – elle les avait entendu en se rapprochant. Vraiment, à croire que leur but était de récolter le plus de points négatifs.
Sywen, dans l'attitude parfaitement saine de ceux qui évaluent une situation avant de se lancer, avait foncé droit sur eux sans même regarder leurs fusils. Son attention était toute tournée vers les deux hommes, face à qui elle se planta en posant ses poings sur ses hanches, alors qu'ils la fixaient en se demandant ce qu'il se passait ici.

-Qu'est-ce que tu nous veux, ma p'tite dame ?

Demanda le barbu N°1 de sa voix bourrue (oui parce que, pour info, ils avaient tous les deux le menton si bien fourni qu'on aurait pu se croire face à des reconstitutions d'hommes des cavernes, en plus ils portaient des chemises à carreaux sous de grosses vestes pour rentrer dans le cliché des paysans). Notre kwanita aux cheveux roses leur aurait bien répondu sur un ton cinglant, mais Lohan intervint alors en leur disant d'arrêter tout de suite. C'était très honorable de sa part, seulement, quand il les menaça d'employer la manière forte si nécessaire, les deux gugus se regardèrent un instant avant d'éclater de rire. Mais vraiment. Ils s'époumonaient tellement que le barbu N°2 eut du mal à articuler une réponse.

-Oh mon dieu, j'ai peur, il va nous taper du haut de son mètre soixante-cinq ! Mais d'ailleurs, on est censés arrêter quoi, au juste ?

Cela tira un soupir où se mêlaient agacement et lassitude par anticipation (elle les trouvait déjà lourds, rien que dans leur humour) à Sywen. Sans perdre son calme, elle sortit de sa poche une carte qu'elle leur montra tout en reprenant la parole.

-Je me présente. Sywen Edenhyde, cheffe du service des renseignements de la section Wakanda, à Lohendra. Messieurs, je vous demande de cesser immédiatement toute activité de chasse pour la journée. À moins que vous ne souhaitiez voir vos permis vous être retirés ? Enfin, si tant est que vous en ayez évidemment, auquel cas je vous demande de me les montrer immédiatement.

Bon, son poste lui donnait effectivement de quoi faire en sorte qu'on leur retire leurs permis de chasse, mais au final elle n'avait pas vraiment d'autorité sur les chasseurs. Cependant, la jeune Edenhyde espérait que son rang suffirait à les bluffer et qu'ils en resteraient là sans demander leur reste.
D'ailleurs, quand elle avait mentionné le fait qu'ils n'avaient peut-être pas de permis, il lui sembla qu'ils tirèrent une tronche étrange l'espace d'une micro-seconde. Mais qui sait, ses yeux lui avaient peut-être joué un tour.

[gugus N°1 : #0033ff et gugus N°2 : #006600 pour les couleurs :3]

Il ne fallait pas sous-estimer la bêtise humaine. Elle pouvait atteindre des méandres qu'on ne soupçonnait pas, si profonds qu'on avait l'impression qu'ils pouvaient nous abrutir en aspirant notre cervelle si on s'en approchait trop. Encore une fois Sywen avait la preuve de cela, en la personne de ces deux gugusses qui semblaient sortir tout droit d'une caverne d'homme de cro-magnon et avoir chouré quelques vêtements chez un fermier proche avant de chercher de quoi se sustenter. Ils étaient complètement idiots et inconscients, elle allait finir par croire qu'ils étaient aussi peu développés que les hommes préhistoriques dont ils avaient presque l'apparence (ils auraient des rôles tout trouvés au cinéma, mais peut-être pas l'intellect nécessaire au métier d'acteur). Ne savaient-ils pas que chaque vie était importante ? Surtout avec l'existence des totems. Or si tout le monde s'amusait à chasser aussi intensivement, certaines espèces deviendraient très rares sur certains territoires, ce qui pour certaines personnes compliquerait la recherche de leur totem. D'ailleurs, quel amusement – quel plaisir – pouvaient-ils trouver là-dedans ? Étaient-ils contents de tuer ces êtres sans défense contre leurs fusils ? Aimaient-ils faire des choses inutiles ? Pensaient-ils que leurs familles seraient heureuses en apprenant qu'ils avaient fait un carnage ? Peut-être que leurs enfants seraient fiers de savoir que leurs papas étaient de grands chasseurs, mais c'était parce que lesdits paternels les avaient éduqués ainsi. Si jamais son propre père s'adonnait à ce genre de chasse intensive, il se prendrait des baffes.

Bref, elle ne voyait pas ce qu'ils en tiraient de bon. En fait, la jeune femme ne voulait même pas le voir. Imaginez donc qu'elle les comprenne ? Évidemment cela ne voudrait pas forcément dire qu'elle adhérerait à leurs actions, mais même les comprendre ne lui plairait pas, elle aurait l'impression de devenir l'une d'entre eux en quelque sorte. De perdre son respect pour la vie.
Un respect que Lohan partageait et qui les avait tous deux poussés à ne pas rester les bras croisés, face à ces deux brutes qui riaient d'avoir tant chassé qu'ils n'étaient sans doute pas en règle. Notre cheffe de service ne remarqua qu'inconsciemment que la nature semblait comme silencieuse autour d'eux, du moins la faune ; on entendait toujours le ruisseau clapoter vivement et les branches bruisser doucement sous la caresse du vent, mais seul un oiseau chantait parmi les arbres, pas un seul brin d'herbe ne bruissait sous les pattes d'un animal en mouvement. On aurait dit que la nature autour d'eux retenait son souffle, dans la crainte de ces chasseurs qui profanaient ce paisible sanctuaire et l'attente de la suite. Et les choses se succédant rapidement, celle-ci ne tarda pas : rapidement, elle eut recours à sa position pour leur mettre la pression voir les intimider. Un tout petit peu suffirait, de toute façon ce genre de bonhomme n'était en général pas bien courageux à la base. Ce recours sembla fonctionner mais, tout d'un coup, l'un des deux hommes tira sur le renard de Lohan.

À cet instant, une certaine horreur se peignit sur le visage de Sywen. Elle se tourna vers Lohan pour voir sa réaction ; il flanchait, comme en proie à une vive douleur. C'était prévisible. Tout aussi prévisible que le fait qu'ensuite, une colère sans borne émana de lui. Elle resta à sa place mais se prépara à réagir rapidement à toute éventualité, tout en le regardant d'avancer vers les deux chasseurs. Tout sentiment de peur s'était envolée du jeune homme, balayé à l'instar d'une vulgaire brindille par cette rage qu'il dirigeait vers les deux bourrus. Son rythme cardiaque accéléra légèrement. Elle ne pensait pas pouvoir arrêter Lohan si jamais il décidait de se venger – peut-être en aurait-elle les capacités, mais c'était surtout l'envie qui lui manquait. La jeune kwanita ne souhaitait pas qu'un incident fâcheux se produise, mais elle ne pouvait pas non plus empêcher le blondinet de prendre sa revanche car c'était son droit. Les barbus ne savaient sans doute pas qu'ils venaient de tirer à bout portant sur son affilié (d'où leurs têtes un peu confuses devant un tel tourbillon de haine), mais un totem était toujours très précieux à nos yeux. Même s'ils se cachaient derrière la pratique excuse de l'ignorance, à l'heure actuelle Lohan était parfaitement incapable de leur pardonner ou de se laisser raisonner. De plus, même sans compter le fait que le renard était relié à Lohan, ils venaient tout juste de blesser gravement un animal alors qu'ils méritaient bien de se faire mordre par lui : le renard voulait venger leurs victimes, les empêcher de continuer ce massacre et n'aurait fait que leur donner ce qu'ils avaient récolté en pratiquant une chasse aussi intensive (ils ne pouvaient pas se plaindre d'avoir des animaux à dos).

Et pour démontrer qu'ils étaient vraiment des dégonflés au fond en plus d'être crétins, l'un des deux hommes armés ne trouva pas d'idée plus brillante que de braquer son fusil vers Lohan en le voyant approcher comme une furie. Sywen se mit automatiquement en marche à son tour d'un pas déterminé, quand le jeune blond lui demanda si la galanterie était de mise elle était déjà à sa hauteur. Ce qu'elle ressentait et pensait ? Qu'être passés à tabac ne ferait pas de mal à ces deux demeurés et permettrait de relâcher quelques tensions. Ce n'était en rien comparable à ce que Lohan devait ressentir, mais elle aussi était en colère, sa lèvre inférieure était légèrement pincée et son regard était dur. Ses traits furent déformés l'espace d'un instant par une grimace entre le dédain et la rage quand il lui avait posé cette question.
Mais avec un grand effort, la demoiselle parvint à desserrer les poings. Elle porta son attention vers le renard qui gisait toujours à terre, s'accroupissant à ses côtés sans même accorder un regard aux deux chasseurs. La pauvre bête n'était pas en bon état mais, après quelques secondes, elle constata avec soulagement qu'il était encore en vie – plus pour longtemps s'il restait ici, certes. Une fois cela confirmé, l'Edenhyde se releva, fit trois pas pour se planter devant les chasseurs et leur décolla un magnifique crochet du droit à chacun. Oh n'allez pas penser que ses coups ne faisaient pas mal parce qu'elle était une femme, au contraire. A force, elle savait s'y prendre même face à des grands gaillards.

D'ailleurs chacun sentit sa tête pivoter brutalement de quatre-vingt-dix degrés et porta une main à la joue visée, avant de la fixer avec surprise et peut-être une certaine indignation. Mais loin de leur laisser le temps de répliquer, Sywen porta les poings à ses hanches et commença à laisser sa rage s'exprimer.

-Le renard sur lequel vous venez de tirer était le totem de ce jeune homme. Quand l'un d'entre eux voulut répondre, elle leva une main pour faire signe qu'il s'en prendrait un autre s'il osait l'interrompre. Ce que vous venez de faire est une faute grave. Alors vous allez nous aider à le sauver, quitte à payer des frais de vétérinaire, et je vous accompagnerai personnellement jusqu'à la section Kwanita. Si jamais l'un d'entre vous a le culot de fuir ses responsabilités en refusant, il aura affaire non seulement à moi mais aussi à celui derrière moi qui n'attend qu'une chose : se venger. Compris ?

Elle avait rassemblé le plus d'autorité possible et s'était montré des plus convaincantes, pour éviter que cela ne se produise. Ils n'avaient même pas encore opiné du chef qu'elle avait déjà sorti son portable pour appeler les urgences vétérinaires et leur expliquer la situation. Quand Sywen raccrocha, elle regarda les deux chasseurs puis Lohan.

-Ils seront là dans dix minutes. Ne reste plus qu'à faire en sorte qu'il ne meurt pas jusque là. Elle fit alors signe à Lohan d'approcher, tout en retournant auprès du renard, puis elle s'accroupit à nouveau. Ensuite, elle s'adressa de nouveaux aux chasseurs. Hé, donnez-nous de quoi bander sa plaie au lieu de rester les bras ballants !

La voilà qui jouait les petits chefs maintenant. C'était dans ces moments que la Lohendra refusait le plus d'être contredite et qu'elle paraissait énervée sans l'être vraiment. Et pour vous prouver qu'elle n'était pas réellement tendue, elle adressa un sourire à Lohan et apposa une main sur son crâne blond en disant tout bas « t'en fais pas, on le sauvera. » Elle cherchait aussi à s'en convaincre au passage, mais c'était surtout pour lui qu'elle disait cela.

Et voilà que Sywen avait mis la situation sous contrôle. À croire qu'elle savait se faire écouter, mais le fait que les deux chasseurs soient complètement en tort avait aidé : puisqu'ils n'avaient rien trouvé à redire à ses paroles, ils s'étaient simplement écrasés et se laissaient maintenant faire comme des femmelettes. Quant à Lohan il ne semblait pas mécontent de la laisser gérer, ou du moins il la laissait faire sans protester. Sans doute était-il conscient que lui agirait selon ce que lui soufflait sa colère mais que celle-ci était un mauvais guide. Elle avait l'impression que ce serait bien dans son caractère, de vouloir rester pacifique – enfin autant que possible – même dans ce genre de situation. Plus ça allait et plus elle avait l'impression qu'il était un garçon gentil et intelligent bien que difficile à appréhender au début, mais un peu trop fier et qui pouvait s'énerver facilement sur certains sujets. En général la Lohendra n'avait pas trop de mal à s'entendre avec ce genre de personne, peut-être parce qu'elle-même avait un caractère à la con. En revanche elle était sûre et certaine de ne jamais réussir à faire ami-ami avec les deux gugus. Non pas qu'elle avait un souci avec les hommes rustiques – elle venait d'Aesus, la ville des montagnards –, mais leurs manières de faire ne lui plaisait pas. Pour qu'elle commence à les apprécier, ou plus simplement à ne plus les voir comme deux idiots, il faudrait déjà qu'ils évoluent un peu. Après elle espérait sincèrement qu'ils tireraient quelques leçons de cet incident, ce serait mieux pour tout le monde, y compris la nature.

En revanche, même s'ils évoluaient un peu, elle n'était pas sûre que Lohan pourrait un jour leur pardonner. Ils avaient tiré à bout portant sur son totem quand même, ce n'était pas rien. Et il laissait peut-être les rennes à la jeune femme, mais on sentait qu'il rêvait de leur faire rentrer violemment la leçon dans le crâne. D'ailleurs il ne s'en cacha pas, allant jusqu'à déclarer qu'ils étaient ses ennemis puis qu'il voulait rendre justice et qu'ils feraient mieux d'être sages et d'écouter. Lorsque le blondinet prononça ces mots, elle leva le regard vers lui. Il devait se douter qu'il ne pouvait pas rendre justice lui-même, cependant elle comprenait son désir de passer ses nerfs sur eux, de prendre revanche pour le renard. Pour ne pas dire que Sywen avait bien envie de le laisser faire, mais ce serait revenu à ruiner ses propres efforts : pourquoi avait-elle frappé les chasseurs et avait pris les choses en main, à votre avis ? Pour ne pas laisser à la situation l'occasion de dégénérer. Bien sûr elle n'appréciait pas ces hommes de cro-magnon, mais ce n'était pas une raison pour laisser Lohan partir à l'assaut et qu'une bagarre éclate, surtout dans un endroit comme la calme petite clairière où ils se trouvaient. Les alentours étaient si silencieux qu'ils semblaient vidés de toute vie, c'était bien la preuve qu'il n'y avait pas besoin d'envenimer les choses. Si l'apprenti érudit avait laissé libre recours à sa rage ici, que le sang avait coulé sur cette herbe fraîche et dans le ruisseau d'eau pure qui coulait non loin, elle s'en serait voulu de ne pas être intervenue.

Quoi qu'il en soit, le plus important était de maintenir le renard en vie jusqu'à ce que les secours arrivent. Pour cela, notre Edenhyde poussa les deux braconniers à participer un peu en leur demandant gentiment – ou plutôt en leur ordonnant presque – de fournir un garrot. Encore une fois ils prouvèrent qu'ils n'étaient pas des flèches, car ils se regardèrent un moment avant que l'un d'entre eux ne se décide enfin à déchirer un bout de ses vêtements. Rah là là, eux en cas d'incendie ils ne seraient pas assez réactifs. M'enfin, au moins avec ça, ils purent bander la plaie de l'animal au poil roux. Lohan avait l'air tellement désespéré de le voir dans cet état, elle avait mal au cœur pour lui. Mais à part rester à ses côtés et lui assurer que tout irait bien elle ne pouvait pas faire grand-chose et se doutait bien qu'il n'arrêterait de se faire du mauvais sang que lorsqu'il saura son lié hors de danger.
Les minutes parurent longues jusqu'à l'arrivée des secours. Quand l'hélicoptère arriva, la kwanita aux cheveux roses se sentit soulagée : les chances de survie du renard venaient d'augmenter. À peine l'engin s'était-il posé qu'un homme en sortit, matériel aux bras, pour examiner le blessé et lui administrer les premiers soins. Cela fait ils l'installèrent sur un brancard et l'emmenèrent jusqu'à l'hélicoptère, qui décolla juste après en direction du centre vétérinaire avec en son bord tout le beau monde qui se trouvait dans la prairie.

A la clinique, l'animal fut immédiatement pris en charge dans un bloc d'urgence. Sywen prit les identités et les numéros des deux chasseurs et leur indiqua comment aller jusqu'au QG de Lohendra, puis resta avec Lohan jusqu'à ce que l'opération soit finie. Elle essaya bien de lui remonter le moral en parlant de tout et de rien mais ce n'était pas si facile, alors au bout d'un moment elle décida de garder le silence pour ne plus le troubler. La demoiselle alla aussi chercher des boissons au distributeur à un moment, sinon elle ne s'est jamais éloigné de plus d'une dizaine de pas – il lui arrivait de faire des allers-retours dans le couloir.
Quand finalement la lumière rouge s'éteignit, signe que l'opération était finie, Lohan et elle se rendirent près de la porte de la salle et attendirent que le chirurgien ne sorte leur dire comment cela s'était passé.
Et le sauvetage avait été un succès. Le renard allait avoir besoin d'une bonne convalescence au repos donc qu'ils allaient le garder avec eux un certain temps, mais il était complètement hors de danger. Soulagée, elle adressa un large sourire au blond et lui tapota l'épaule en disant « tu vois, je te l'avais bien dit ! »
Par la suite la cheffe du service des renseignements accompagna Lohan jusqu'à ce qu'il en ait fini avec toutes les démarches et ils sortirent du bâtiment.

En s'étirant, elle lâcha un « eh ben, sacrée journée ! » puis se tourna vers Lohan. « Contente que ton renard s'en soit sorti ! Ne nous reste plus qu'à aller récupérer nos affaires. »

Ils y allèrent tranquillement puis, quand chacun eut empaqueté son propre bazar, une idée lui traversa l'esprit. Elle fouilla ses poches pour trouver un bout de papier, demanda un stylo à Lohan et écrivit son numéro de portable avant de le lui tendre. « Tiens, au cas où. Si jamais tu as un souci ou même une envie de parler, n'hésites pas ! » Ensuite, elle s'en alla en marchant vivement et se retourna pour lui faire des signes de la main avec un grand sourire pour le saluer.
Avant de rentrer profiter des quelques heures qu'il restaient de sa journée de repos, Sywen passa tout de même au quartier général pour s'assurer que les deux chasseurs avaient tenu promesse ; ils étaient bien passés, elle pouvait donc avoir l'esprit tranquille.
Décidément, même durant ses jours de repos elle n'était pas à l'abri de péripéties inattendues. M'enfin, puisque celles-ci ne concernaient pas un dossier urgent égaré ou non traité, elles l'avaient beaucoup moins stressée. En plus, ça lui avait permis de mettre un peu de piment dans sa vie et de faire une nouvelle rencontre assez intéressante. Ce n'était pas plus mal.